Une conversation avec Pierre Charbonnier, philosophe considéré comme une nouvelle tête pensante de l’écologie politique, est parue dans la Croix du WE du 6/7 janvier 2024. Ci dessous un extrait de la question posée par Julie de La Brosse.
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Bruno Latour insistait beaucoup sur le fait que l’écologie imbibée de moralisme n’était pas désirable. Comment l’ériger en progrès et non en sacrifice ?
Ne soyons pas naïfs. Aujourd’hui, tout le monde se dit préoccupé par la question environnementale, mais la transition écologique est essentiellement perçue comme un danger par les populations. Et pour cause, beaucoup d’études montrent que les perdants de la mondialisation actuelle pourraient aussi être les perdants de la transition de demain.
C’est pourquoi à mesure qu’on rentre dans les politiques de transition, la droite et les mouvements populistes cherchent à se fédérer contre l’écologie, érigée en une espèce de complot contre les pauvres. Si nous voulons empêcher l’arrivée au pouvoir des mouvements réactionnaires et la dégradation incontrôlable des conditions de vie, il faut sortir de l’écologie un peu abstraite et incantatoire, et s’attaquer aux vraies questions de fond : qui va poser les panneaux solaires ? Comment rendre ces métiers attractifs ? Combien va-t-on payer les gens qui vont poser les pompes à chaleur ? Ces questions sont trop absentes du débat public.
Au-delà de la question du financement de cette bascule, il faut aussi se demander à quoi va servir l’argent. Redistribuer pour augmenter la consommation des plus pauvres n’aurait pas de sens. Il faut imaginer de nouveaux droits sur lesquels reposerait un pacte social écologique. Des droits à l’éducation et à des services publics de qualité bien sûr, mais aussi des droits d’accès à des infrastructures d’énergie et de transports décarbonés. Sans cela, les classes populaires se sentiront toujours, et à raison, exclues de la transition.
La transition est aussi perçue commeun ensemble de contraintes. Que pensez-vous par exemple des systèmes de quotas individuels défendus par certains ?
Le discours de la contrainte n’arrive pas à porter ses fruits. Pour voir émerger des compromis politiques sur le climat, il faut qu’une masse critique de la population trouve son intérêt à ne pas émettre de gaz à effet de serre. Cela peut se faire par effet d’incitation ou de contraintes, mais aussi et surtout en déployant des alternatives. Si vous limitez l’accès à l’avion sans vous demander comment les gens vont occuper leur temps libre d’une manière qui ne soit pas totalement frustrante, alors vous n’en ferez jamais des défenseurs de la transition.
En ce sens, l’exemple du débat autour de l’A69 m’a semblé symptomatique : tout le monde s’est focalisé sur la pollution des autoroutes, la protection des arbres, alors que le problème est l’avenir de ces villes intermédiaires dépendantes des grands centres névralgiques. Comment faire pour les rendre accessibles et donc vivables ?
Pour que l’écologie ne soit pas perçue comme un effort ou comme un sacrifice, la solution la plus immédiatement accessible pour manger, pour bouger, pour habiter, pour produire, doit être la mieux-disante climatiquement. Si la viande est de meilleure qualité et plus chère, la demande va mécaniquement baisser, sans que ce soit perçu comme du déclassement. C’est ce que Léa Falco (militante et membre du collectif Pour un réveil écologique, NDLR) appelle, dans Faire écologie ensemble, son dernier livre, « l’écologie par design ».
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1 commentaire
Christine ALLAIN · 4 février 2024 à 12h26
« beaucoup d’études montrent que les perdants de la mondialisation actuelle pourraient aussi être les perdants de la transition de demain.
C’est pourquoi à mesure qu’on rentre dans les politiques de transition, la droite et les mouvements populistes cherchent à se fédérer contre l’écologie, érigée en une espèce de complot contre les pauvres. »
Hélas il n’y a pas que la droite et les mouvements populistes qui cherchent à se fédérer contre l’écologie.
Nous avons des amis qui s’affirment depuis toujours de gauche (PC).
L’ennemi n°1 est pour eux les USA et donc aussi l’ensemble de l’Occident, « à leur botte ».
Ils pensent que « les histoires de covid et de dérèglement climatique » sont des vastes supercheries destinées à permettre à l’Occident de garder la main sur l’autre partie du monde qui « s’éveille ».
Ils sont proPoutine sans conditions et nous accusent souvent d’être « russophobes » (ce qui, aoutent-ils, les choque beaucoup venant de chrétiens)…
Inutile de vous dire que notre relation est devenue bien compliquée… Nous les pensons complotistes.
Toutes nos sources d’information sont, selon eux, aux mains de du système dominant (La Croix, la 5, la 7 etc.)